Réaction d'une travailleuse sociale spécialisée auprès des intervenants d'urgence à l'article de Radio-Canada de Marie-Laurence Delainey
Mon objectif est ici d'ajouter mon grain de sel à l'article de Marie-Laurence Delainey du 3 février dernier portant sur le trouble de stress post-traumatique chez les pompiers de Montréal (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1150852/trois-fois-plus-pompiers-maladie-stress-post-traumatique-montreal).
Initialement, je dois avouer ne pas être surprise par les faits relevés par la journaliste. En effet, on voit une croissance dans les dernières années de la demande d'aide chez les intervenants d'urgence; pour le trouble de stress post-traumatique comme pour d'autres difficultés psychosociales. En cette semaine de prévention du suicide, il me semble capital de relever ce qui m'apparaît être un contexte de risque psychosocial pour ces professionnels.
Si vous avez lu mes précédents articles, vous aurez constaté à quel point je mets l'emphase sur la culture du Super-Héros présente dans le monde de l'urgence. Culture masculine en majorité, il est plutôt difficile de demander de l'aide. Une multitude de chercheurs se sont intéressé au difficile accès des hommes aux services sociaux, pointant la socialisation des garçons, l'inadaptation des services sociaux aux spécificités des hommes, notamment. Cependant, pour oeuvrer dans ce domaine depuis plus de 20 ans, je peux vous dire qu'en effet, la demande d'aide est encore plus difficile lorsqu'il s'agit de blessures psychosociales. Souvent, c'est avec le mot honte que mes clients me parlent de leurs difficultés.
Mais j'ai envie de pousser plus loin la réflexion en ce qui concerne le trouble de stress post-traumatique. Les données sont assez pauvres en ce qui concerne cette problématique de santé mentale. Les spécialistes ont parfois des difficultés à émettre le diagnostic, notamment en raison du fait que les symptômes ne sont pas liés à un seul événement mais plutôt à une « usure » chez plusieurs intervenants d'urgence. Parfois aussi, et je relève ces faits de données empiriques (« du terrain »), le diagnostic est posé trop tôt (un mois doit s'être écoulé depuis l'événement). Une confusion de diagnostic est aussi vécue par plusieurs : du trouble d'adaptation, à la dépression, aux troubles anxieux, à l'état de stress aigu, on s'y perd souvent. Lorsque le diagnostic est posé de manière approximative (faute de formation car je ne blâme ici personne), il est difficile de reconnaître la portée des lésions professionnelles.
Autre élément qui me semble présent dans ce « cafouillage » : la prise pour acquis de bien des gens que le trouble de stress post-traumatique est normal, voire acceptable, pour des professionnels qui sont formés dans l'urgence (policiers, pompiers, paramédics, mais aussi agents des services correctionnels, militaires, personnel médical, intervenants sociaux). J'irais même jusqu'à dire que j'ai entendu beaucoup d'intervenants professionnels me dire qu'ils devaient assumer ce risque car cela faisait partie de leur métier. Imaginez les pensées qu'il faut déconstruire en intervention! Imaginez la pression à la demande de consultation!
Pour en revenir aux pompiers de Montréal, nul doute que les fonctions de premier répondant médical ajoutent à leur fardeau. En effet, dans plusieurs formations que j'ai dispensées, les pompiers me disent eux-mêmes qu'ils ont eu à apprendre de nouvelles tâches, certes, mais ont aussi dû modifier leur rôle. Plusieurs m'ont rapporté que la plus difficile transition pour eux en devenant premier répondant a été de côtoyer de manière plus évidente la détresse humaine. Alors peut-on se surprendre que le nombre de personnes atteintes de TSPT soit en augmentation? Avec tous les éléments relevés ici, j'en doute!
Je me permets donc de relever le fait que le trouble de stress post-traumatique peut être vécu par toute la population, incluant les intervenants d'urgence et ce, peu importe leur formation ou leur expérience. Il peut changer leur vie à tout jamais. Il peut se présenter sous la forme qu'on voit plutôt souvent dans les films : flashbacks, évitement, pensées intrusives mais sachez également qu'il peut avoir un impact sur la personne, ses proches, son travail, ses finances et j'en passe. Il peut mener à des comportements d'autodestruction (consommation, dépendances diverses) allant jusqu'au suicide. Soyons donc alertes à ceux qui nous entourent.
Je me permets en terminant cet article de vous dire qu'il existe des ressources pour vous aider si vous croyez être atteint d'un TSPT. Des traitements spécifiques existent : IMO, EMDR, désensibilisation (tous ces traitements sont offerts par des psychothérapeutes certifiés). D'autres intervenants offrent aussi de l'intervention de crise et psychosociales. Enfin, une recherche est actuellement en cours sous la direction du Dr Alain Brunet, sommité dans le domaine. N'hésitez donc pas à demander de l'aide. Ne restez surtout pas seul avec ce problème.
Par Julie Nadeau, T.S.
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