Dimanche, la communauté policière a appris qu'une des leurs a mis fin à ses jours. Encore un suicide policier. L'an passé, plusieurs fois, les médias ont parlé de ce « fléau » qui sévissait dans les forces de l'ordre.
Je ne commenterai pas le geste posé par l'agente qui a mis fin à ses jours cette fin de semaine car je ne connais pas les circonstances et parce que ce serait voyeur. Toutefois, j'avais envie de traiter de cette réalité qui fait en sorte que des agents de la paix choisissent de se suicider. On pourrait penser que c'est la proximité de l'arme à feu : j'en doute.
Qu'y a-t-il de différent, me direz-vous, entre la mort volontaire d'un policier (ou d'une policière) et celle d'un « civil »? J'aurais envie de vous dire que chaque suicide, peu importe la victime, en est un de trop. Toutefois, pourquoi ne pas regarder ensemble les facteurs de risque qui peuvent fragiliser la condition mentale de ces fonctionnaires.
Les intervenants d'urgence, tout comme ceux de la santé, des services sociaux, des forces armées, des services correctionnels et de l'éducation, font vu d'aider la population. Ils côtoient donc la misère, la détresse, les crises et la mort et cette réalité, elle use. Prenons une personne qui a joint les rangs de la police, avec une santé mentale disons solide. Cette personne rencontrera pendant sa carrière des gens qui vivent en marge de la société. Elle fera affaire aux plus sordides histoires que nous, population, n'entendons pas toujours. Elle interrogera des gens qui ont dévié des normes, qui ont agressé, blessé mais aussi des victimes de ces crimes; victimes qui portent une foule d'émotions.
Hormis le fait de côtoyer la criminalité, les agents auront aussi à effectuer des actions hors du répertoire de la normalité : réanimer quelqu'un, annoncer des décès, recevoir les émotions des témoins, victimes. Ils verront des gens revenir dans le système. Ils seront mis devant les coupures du système en santé mentale. Ils iront à la cour pour rapporter ce qu'ils ont constaté (sans doute 2 ans plus tard). On comptera sur eux pour se rappeler de chaque fin détail de chaque dossier.
Vous aurez sans doute envie de me répondre ici qu'ils ont choisi cette profession et que de toute manière, ils sont formés et bien payés. Certes. Vous auriez raison d'émettre ce commentaire. Mais dites-moi, quel uniforme est censé protéger la santé mentale? À ce jour, aucune veste pare-émotions n'a été brevetée.
En 2001, je terminais ma maîtrise sur le stress policier. Le constat sur les sources de stress était assez étonnant. Alors qu'aux États-Unis, les stresseurs les plus importants étaient les équipements, le salaire minable, la réalité lente des tribunaux, au Québec, mon étude a démontré qu'il s'agissait (en gros et de manière non généralisable) du climat de travail négatif (la pression des supérieurs et des pairs), la réalité dépeinte par la population et également, les délais indus devant les tribunaux. Plusieurs policiers rencontrés me mentionnaient qu'ils trouvaient lourd d'être vus comme un Super Héros. N'est-ce pas là une pression de performance et de perfection lourde à porter?
Alors si on résume : côtoyer la misère, la détresse, les crises, être formé à être irréprochable 24h/24, avoir une mémoire éléphantesque, être un Super Héros, tout en étant peu ou pas respecté (ou craint!). Voilà une liste de facteurs fragilisant la santé mentale et pouvant user la population policière. Ajoutons toutefois que peuvent aussi survenir des problématiques dans la famille en lien (ou pas) avec le métier exercé (combien de policiers m'ont dit qu'ils trouvaient qu'ils avaient tant changé depuis leurs débuts). Plusieurs trouveront des solutions temporaires à leur souffrance : l'alcool, la consommation, le jeu.
Mais je m'en voudrais de ne pas aborder une autre réalité : le trouble de stress post-traumatique. Dans cet univers où sont valorisés la force et le courage, comment demander de l'aide sans être écorché au passage par des railleries ou l'étiquette de faible? Cette réalité, je la côtoie dans mon bureau également. Savoir que sa santé mentale n'est pas ou plus assez forte pour continuer ce travail, mais se sentir faible si on demande de l'aide : voilà ce qui résume la plupart des demandes d'aide que je reçois.
Depuis plus de 20 ans, je côtoie cette clientèle. Loin de moi l'idée de vous dire qu'ils sont tous parfaits. Loin de moi également l'envie que vous preniez en pitié les gens qui choisissent sciemment d'exercer cette profession, parce que oui, c'est un beau métier. Mon seul but en écrivant cet article était d'humaniser ceux et celles qui portent l'uniforme. Mon objectif était de vous rappeler que derrière le matricule, se trouve un humain avec ses forces et ses limites.
Par Julie Nadeau, T.S.
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